Le sport pour une diversité assumée!
À quarante ans, il est l’un des quatre représentants de l’équipe argentine de paracanoë. Il s’est consacré à la natation et à l'aviron depuis son enfance ; aujourd’hui, il se place parmi les huit meilleurs du monde en canoë-kayak. Un parcours qui incarne le rêve paralympique et qui prouve que rien n’est impossible. Du Circuit national de canoë-kayak et centre de sports nautiques de Buenos Aires à la qualification pour les Jeux Paralympiques de Paris 2024, Nicolás Crosta nous embarque dans ses confidences avec la même passion que dans son canoë.
Il y a des gens qui utilisent le mot « handicap », alors que d’autres préfèrent parler de « capacités diverses ». Quel terme préfères-tu pour cette interview ?
Personnellement, je n’aime pas le mot « handicap ». Je ne me sens pas handicapé. Mais le terme « capacités diverses » ne me plaît pas non plus. Je me sens une personne comme toutes les autres. Nous sommes différents, bien entendu, pour autant nous ne sommes pas handicapés ; je considère plutôt que chacun est doué dans son domaine. J’ai commencé à nager à l’âge de quatre ans, car ma sœur prenait des cours de natation, et je me suis toujours senti épanoui dans l’eau. C’est un milieu où l’absence de ma jambe ne se fait pas remarquer. Je parle souvent de ma « non-jambe », qui ne représente pas du tout un obstacle dans l’eau. Si j’étais sur un fauteuil roulant, je subirais probablement les épreuves ou les difficultés propres des villes qui ne favorisent pas l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Mais, dans mon cas, je peux monter ou descendre les escaliers, ainsi que monter dans un bus non-adapté. Je me déplace en toute liberté. C’est ainsi que je me sens dans l’eau, et même encore plus libre.
As-tu l’impression que cette liberté, aussi bien dans l’eau que dans la vie, te fait ramer à contre-courant ?
Je suis conscient que j’attire l’attention et j’entends des jugements de valeur concernant ma situation. Il y a peu de temps, un médecin que je consultais pour la première fois m’a dit « Mon pauvre ! » quand j’ai répondu à sa question sur ce qui était arrivé avec ma jambe. Comment ça, « Mon pauvre » ? Tout d’abord, je suis reconnaissant d’être né ainsi et de ne pas avoir eu un accident à l’âge de 20 ans. Je n’ai jamais connu le sentiment de « ça, je ne peux pas le faire ». Ce médecin n’a aucune idée du fait que je m’entraîne six fois par semaine, matin et soir, que je suis tous les jours en salle de sport, que je reçois quinze stimuli musculaires par semaine, comme tout sportif de haut niveau. Le fait de ne pas avoir une jambe, mon cher, ne doit pas te faire croire que je suis faible. C’est vraiment triste qu’il y ait des gens qui pensent comme ça. « Pauvre » est celui qui a ce type de pensées !
Les compétitions sportives doivent refléter toutes nos diversités : sexuelle, sociale, physique, et ne pas être juste un dispositif passif. Penses-tu que c'est aux minorités d'aller de l'avant et de revendiquer activement leur participation au sport ?
Selon moi, il y a eu à cet égard des avancées significatives, mais il reste encore du chemin à faire, en fonction du milieu sportif et professionnel. Je crois que le changement doit venir d’en haut ; c’est aux instances sportives et politiques de favoriser une plus grande diversité dans le monde sportif. Dans le sport adapté, que l’on nomme aussi handisport,snous manquons toujours de ressources, mais aussi de mesures concrètes. Juste à titre d’exemple, dans le dernier Championnat du monde auquel j’ai participé, en Pologne, nous étions quatre athlètes paralympiques, alors que dans la même compétition, on comptait vingt athlètes conventionnels. Il existe toujours une inégalité manifeste en termes d’accessibilité pour le sport adapté si on le compare au sport conventionnel. Il faut absolument que cette situation évolue vers plus d'équité. Sans compter qu’en canoë-kayak, les résultats sont souvent supérieurs dans le sport adapté.
« Nous devrions envisager de ne plus utiliser le mot <"inclusion">, car parler d’inclusion implique malheureusement l’existence de l’exclusion... »
L’égalité est parfois synonyme de victoire. Penses-tu que nous devrions plaider en faveur de la possibilité d'organiser les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques simultanément, afin de changer l'approche du public à l'égard du sport adapté ?
Tout à fait ! Tout d’abord, en tant que sportif, afin de pouvoir partager l’expérience des Jeux avec les mêmes collègues que l’on rencontre lors des Coupes du monde, des Championnats du monde, des Jeux panaméricains et des Jeux sud-américains, où les sports conventionnels et les sports adaptés cohabitent dans un seul évènement. Pourquoi cette coexistence n’est pas possible aux Jeux Olympiques et Paralympiques ? Pourquoi organiser les Jeux olympiques d’abord et les Jeux paralympiques après ? Nous entendons souvent des arguments concernant la logistique, mais il est peut-être temps de s’inspirer des exemples des autres compétitions et d’explorer de nouvelles perspectives.
As-tu rencontré dans ta carrière des obstacles à ton développement sportif ?
Il est difficile de concilier l'entraînement intensif et le travail, compte tenu des longues heures consacrées à la préparation physique. Tout sportif mérite un temps de repos nécessaire en dehors des entraînements. Ma routine comprend des séances le matin, suivies de mon travail au bureau ; et après le bureau, je retourne dans mon canoë ou en salle de sport. Cela veut dire que je finis mes activités très tard le soir. Il est parfois difficile de gérer cette double charge, mais je n’ai d’autres choix que de travailler pour subvenir à mes besoins. J’aimerais pourtant pouvoir me consacrer entièrement au sport sans les contraintes du travail. Pour cela, j’ai besoin d’une bourse ou d’un sponsoring. La bourse attribuée par le Secrétariat national du sport n’est pas suffisante. Pour postuler à une bourse de l’ENARD [Entité nationale pour le sport de haut niveau], il est exigé d’avoir été finaliste dans une Coupe du monde. J’ai atteint la finale une fois, l’année dernière en Pologne, mais c’était un Championnat.
« Je n’ai jamais ressenti le sentiment du "ça, je ne peux pas le faire". »>.”
La pratique du sport de haut niveau à 40 ans n’est plus une mode : Roger Federer, Serena Williams, Tiger Woods, Zlatan Ibrahimovic et beaucoup d’autres pratiquent encore leur sport au plus haut niveau. Quels sont tes prochains défis ?
Merci de me rappeler que je suis âgé, je n’ai que 42 ans (rires).Dans le monde du sport adapté, il est n’est pas rare que les sportifs participent à des compétitions à un âge plus avancé, ce qui est souvent dû à des accidents survenus plus tard dans leur vie. L’influence du passage du temps joue un rôle important. Pour l’instant, mon but est de persévérer dans mes entraînements, car une procédure de sélection a été ouverte pour déterminer mon classement. Les résultats définiront alors qui participera aux Championnats du monde en Hongrie au mois de mai : ma dernière chance d’avoir une place dans les Jeux Paralympiques. Et pour l’avenir, j’espère qu’il y aura des Jeux Paralympiques du troisième âge (rires)..
3 qualités pour être athlète paralympique :
- La persévérance
- La ténacité
- La résilience
Ses palmarès :
- 2 Coupes du monde
- 3 Championnats du monde
- 2 Championnats sud-américains
- 1 Championnat panaméricain