« Maintenant, il y a des précédents et la nouvelle génération de sportifs peut s’assumer ouvertement. »
«Lorsque la star de la sélection argentine de volley a pu se confier à ses coéquipiers, il a donné le coup d’envoi à une histoire qui allait établir des précédents et inspirer nombre de sportifs. De l’Argentine à la Suisse en passant par la Roumanie, ce sportif professionnel nous raconte pourquoi visibiliser son orientation sexuelle est devenu un acte de militantisme sportif.«
Aujourd’hui, mettre en évidence l’homosexualité ou la différence dans le sport reste encore tabou, et ce d’autant plus dans les sports collectifs masculins. Comment pourrait-on, selon toi, encourager l'acceptation de la diversité dans le milieu sportif professionnel ?
Je crois que cela dépend beaucoup du contexte dans lequel évolue l’athlète. Par exemple, un milieu où subsiste encore beaucoup de discrimination, c’est le football. Je ne crois pas que ce soit les joueurs qui discriminent ; d’ailleurs, j’imagine qu’ils seraient les premiers à accepter et à soutenir un coéquipier gay. Mais le milieu où ils évoluent est complètement machiste et soumis à une grande pression économique. Donc, c’est tout un système qui encourage ce tabou. Par ailleurs, je remarque que le monde du volleyball est plus ouvert. Dans mon cas, personne ne m’a jamais discriminé. Et c’est ça qui est important. Il se peut que ça ne plaise pas à certains que je sois gay, mais pour moi, l’important c’est qu’on ne me manque pas de respect. Je dirais que le vrai changement va venir avec la nouvelle génération de sportifs.
Crois-tu que l’éducation soit la clé du changement ?
Je crois que si depuis qu’ils sont tout petits, les sportifs ont ça en tête, ça devient naturel. Car aujourd’hui, qu’un jeune de vingt ans continue de se demander s’il peut être gay tout en faisant du sport, cela signifie que, de toute évidence, vingt ans se sont écoulés pendant lesquels cette situation n'était pas acceptable pour lui. Il y a donc tout un tas d’idées reçues qui opéraient jusqu’à cet âge qu’il va devoir modifier. En revanche, je crois que la nouvelle génération grandit en ayant ces informations et vit cela tout naturellement. Dans ce processus, l’éducation à la sexualité joue un rôle fondamental, dans les institutions éducatives, mais aussi dès les premiers pas qu’une personne peut faire dans le club de son quartier. Les enfants doivent se familiariser avec ces informations dès leur plus jeune âge.
« Dans les bars, des jeunes venaient me dire qu’ils avaient raconté à leurs parents qu’ils étaient gays, en leur montrant ma vidéo.
Ta biographie dans Wikipédia mentionne : « En août 2019, il a révélé publiquement qu’il était gay. » Que ressent-tu face au fait que ta vie privée soit rendue publique ?
Au début, je me suis sentie mal à l'aise, car on se préoccupait peu de mon parcours et de mes exploits sportifs. La seule chose qui comptait, c'était mon homosexualité. C'est choquant. Mais en même temps, j'ai compris que cela faisait partie du processus. Et que c'est nécessaire. Je dis toujours que pour le naturaliser, il faut le rendre visible. Et que lorsque le centième gay se manifestera, on dira « ça suffit, ça ne nous intéresse plus » (risas). C'est à ce moment-là que la naturalisation se fera : quand ce ne sera plus une nouvelle. Mais bon, si nous sommes assis ici aujourd'hui pour ce reportage, c'est qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire et beaucoup de chemin à parcourir.
La psychologie sportive met l’accent sur la santé mentale comme un élément fondamental du sport de haut niveau. As-tu la sensation que ta préoccupation pour cacher ton orientation sexuelle a eu une quelconque influence sur tes performances sportives ?
Bien sûr, à 100 %. Heureusement, j’ai fait mon coming-out il y a plus de dix ans et j’ai fait une grande partie de ma carrière en m’affichant ouvertement gay. A vingt-trois ans, j’ai été recruté par l’équipe nationale argentine. Pour moi, le lien est évident avec le fait d'avoir annoncé mon homosexualité à mes coéquipiers de l'équipe de Lomas de Zamora, l'année précédente. Ce n'est pas parce que j'étais « gay » que j'ai été appelé en équipe nationale, mais en raison de mes bonnes performances. Et je considère que mes performances se sont améliorées du fait d’avoir assumé ma sexualité. Du fait de la vivre librement. Car avant cela, l’énergie dépensée à cacher ma double vie faisait que je ne pouvais pas jouer correctement, et que je me blessais beaucoup. Un sportif, c’est un tout et c’est important de mettre en rapport le bienêtre personnel et la performance sportive en général. Par chance, aujourd’hui on tient beaucoup plus compte de cette question.
« Il existe encore dans l’inconscient collectif cette idée selon laquelle si tu es gay, tu es faible. »
Dans le cadre du mois des fiertés en 2021, tu as publié une vidéo sur Instagram dans laquelle tu racontes une situation problématique que tu as vécue pour avoir voulu te laisser pousser les cheveux. Quels conseils capillaires donnerais-tu à la nouvelle génération de sportifs ?
Qu'ils agissent comme ils l'entendent. Et qu’ils ne suivent les instructions de personne. S’ils veulent avoir les cheveux verts, qu’ils se les teignent, mais qu’ils ne se soumettent pas aux opinions des autres. Le premier jour où j’ai joué en équipe professionnelle, le capitaine a attrapé le serre-tête que j’utilisais pour attacher mes cheveux que je laissais pousser. Il me l’a arraché en me disant que cette équipe était une équipe « d’hommes » et que je devais me couper les cheveux pour le prochain match. Un abus de pouvoir qui m'a tellement marquée que je ne me suis plus jamais laissé pousser les cheveux. Plus de dix ans ont passé avant que je me le permette à nouveau.
Et penses-tu qu’aujourd’hui la nouvelle génération de sportif.ve.s a le sentiment que les choses évoluent dans le bon sens ?
Évidemment, il y a un certain changement. Au niveau social, on a beaucoup avancé en matière de droits et d’inclusion. Pour autant, le milieu sportif est celui qui a le moins progressé. À bien y réfléchir, dans le football professionnel, qui est le sport le plus populaire, il n’y a toujours pas de « gays » aujourd’hui. C'est la même chose dans certaines autres disciplines : nous sommes deux ou trois à avoir décidé d’assumer publiquement notre homosexualité, par exemple, Sebastián Vega au basket. Même si je crois que oui, la nouvelle génération dispose de plus d’outils, évidemment qu’il y a encore beaucoup de tabous et de peurs.
Actuellement tu poursuis ta carrière en Suisse et tu as eu l’opportunité de faire partie de différentes équipes en Europe. Comment perçois-tu l’inclusion des personnes LGBTQI+ au niveau du sport international ?
Dans chaque nouveau pays, j’ai dû tout recommencer à zéro, tout raconter de nouveau. On finissait par me faire des interviews et on écrivait des articles sur « le sportif gay de haut niveau ». Je pense donc que le sujet transcende les frontières... Sauf en Roumanie, qui est un pays très conservateur sur ces questions. On ne m’y a fait aucune interview, mais on a fini par beaucoup parler avec mes coéquipiers de l’équipe. Et le changement de vision qu’ils ont opéré a été incroyable, entre le premier jour où ils ne voulaient pas que je me douche avec eux, et la fin de la saison où ils ont fini par militer auprès de leurs familles et des autres équipes. Ça a été un processus très dur pour moi, mais c’est celui où j’ai pris le plus de plaisir. Peu à peu, ils s’ouvraient et parlaient de sexe entre eux, car même le thème de la sexualité reste tabou. Mais j’ai ouvert un espace de confiance où on a beaucoup échangé, sur des aspects dont ils n’osaient même pas discuter entre eux. Le groupe s’est beaucoup soudé !
Tu veux dire qu’un club a tout à gagner à s’ouvrir à la diversité…
Oui, ce serait bien que les clubs ou les institutions tiennent vraiment compte de cet argument. Un gay ne va pas tirer une équipe vers le bas, au contraire, il peut la souder. À travers mon expérience avec l’équipe de Lomas de Zamora, j’ai fini par devenir un référent au sein de l’équipe, et pas uniquement pour une question de performance sportive. Mais la confiance que j’avais installée avec les autres joueurs et la connexion que j’avais avec la tribune allaient bien au-delà. Ma personnalité s’est affirmée à partir du moment où j’ai dit « Je suis pédé ! ». Une simple décision peut se révéler bien plus déterminante
Ce qu’on dit sur lui…
« Je trouve que c'est quelqu'un d'incroyable. Je pense que ce que j'aime le plus chez Facundo, c'est que nous avons en commun le fait que le sport nous a sauvés de bien des épreuves. Je l'admire. Pour moi, c'est une personne incroyable et un joueur hors pair. »
Jessica Millaman
En chiffres :
- 17 Le numéro de son maillot.
- 9 Son âge quand il a joué au volleyball pour la première fois.
- 17 L’âge de ses débuts en tant que professionnel.
- 1989 Son année de naissance.
- 22 L’âge de son coming-out.
Son palmarès :
- Trois ligues mondiales.
- Champion de la coupe allemande et suisse.
- Champion de la ligue suisse et argentine.