« Je rêve que le sport soit inclusif et populaire. »
«Navigant à travers les compétitions mondiales avec sa régate, Cecilia Carranza Saroli a été sacrée championne olympique aux côtés de Santiago Lange lors des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, en 2016. Défendant la cause LGBTQI+, elle a relevé en 2022 un nouveau défi en tant que présentatrice du cycle « Identités TNT Sports », une émission de huit interviews faites à différentes personnalités du monde du sport dont l’objectif est de visibiliser et de naturaliser la diversité. Un palmarès professionnel qui en fait une référente du sport inclusif.«
Tu as été le porte-drapeau de la délégation argentine aux Jeux Olympiques de Tokyo (2020). J’imagine que ça a dû être une grande fierté pour toi, mais aussi une grande responsabilité. As-tu le sentiment d’être également aujourd’hui le porte-drapeau de la communauté LGBTQI+ ? Qu’est-ce que ça te fait ?
Bien sûr que je suis le porte-drapeau de la communauté ! C’est d’ailleurs en me rendant compte qu’à mon niveau je pouvais contribuer à la cause, que j’ai réussi à brandir le drapeau arc-en-ciel. Je suis porte-drapeau depuis le jour où j’ai voyagé pour représenter l’Argentine pour la première fois. Évidemment, être porte-drapeau aux Jeux Olympiques, qui est la plus haute instance de représentation, c’est quelque chose de très difficile à mettre en mots. Et dans mon parcours en particulier, il s’agit d’un moment unique. Quand j’ai été sollicitée, je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer à l'annonce de cette nouvelle qui m'a poussé à me remettre profondément en question. A partir de là, j’ai compris une grande partie de mon histoire : j’ai compris que toute ma vie, toutes les choses que j’avais écoutées sur l’homosexualité, m’avaient fait penser que je n’avais aucun mérite, que je faisais erreur en quelques sortes, que j’avançais sur le chemin du mal. Alors quand le Comité olympique te nomme porte-drapeau de la délégation de ton pays, ça te donne du courage. Au-delà de tous tes exploits sportifs, cette nomination te permet de te tenir fièrement sous le regard du monde du sport. Ce moment a donc été pour moi particulièrement extraordinaire et je dirais même plus, cela m’a encouragée à aller plus loin dans tout ce que j’ai découvert par la suite, jusqu’à devenir le porte-drapeau du collectif.
Tu as été la première femme à gagner une médaille d’or olympique en voile. Quand es-tu parvenue à te percevoir comme une gagnante en ce qui concerne ton orientation sexuelle ?
Ça a surtout commencé en 2018, à partir d’une vidéo que j’ai faite pour la fondation It gets better, une fondation des États-Unis qui m’a demandé de réaliser une vidéo pour leur souhaiter la bienvenue dans le pays, dans le cadre de leur nouvelle installation en Argentine. Mais au lieu de faire une vidéo de bienvenue, j’ai éprouvé le besoin de raconter ce que je ressentais, ce qui m’était arrivé, mon histoire. J’étais pleine de retenue à l’heure de faire cette vidéo, mais sur le moment, j’ai pensé que si moi je ne pouvais pas le faire, alors peu de gens pourraient le faire ou peut-être que ce serait encore plus difficile pour eux. Quant à moi, je me trouvais dans une position qui me permettait de changer la donne, d'initier quelque chose.
Considères-tu avoir repoussé tes limites ?
Pour pouvoir être la meilleure du monde dans une discipline, ce que je recherche dans la voile, il faut avoir une grande confiance en soi, une bonne estime de soi et souvent un ego élevé. Tu dois travailler dur, mais tu dois aussi être persuadée que tu peux être la meilleure du monde. Et si tu penses n’en être pas digne, même si c'est dans un aspect de ta vie qui n'a rien à voir avec le sport, je crois qu’il te manque le petit plus pour pouvoir évoluer.
« Notre société est homophobe et la déconstruction de cette société se poursuit chaque jour, chez chacun d’entre nous. »
Comment as-tu été reçue par le milieu sportif après avoir fait ton coming-out ?
En réalité ça a été très progressif. A partir de mes seize ans, peu à peu, mon entourage l'a appris, souvent par des commérages, ce qui me rendait très mal à l’aise. Je n’en parlais qu’aux personnes avec lesquelles j’étais en toute confiance. Après la diffusion de la vidéo en 2018, beaucoup de gens ont commencé à me témoigner leur soutien. Personne ne sait vraiment ce qu’on endure quand on ne peut pas être soi-même. L’immense majorité des personnes du collectif n’a pas conscience de vivre une double vie, jusqu’à ce que le temps passe et que tu mettes des mots dessus, lorsque tu fréquentes d’autres personnes LGBTQI+. En en parlant, tu réalises que toi aussi tu mènes une double vie, toi aussi tu dois te cacher pour être avec ton petit-ami ou ta petite-amie. Et ça te demande beaucoup d’énergie, une énergie que tu pourrais consacrer à ta carrière.
Cette question de la double vie t’a-t-elle fait perdre en performance ?
S’il y a bien une chose dont je suis sûre c’est que, pour être la plus performante possible, dans une activité où tu dois à la fois investir ton corps et ton esprit, tu dois te sentir bien. Plus tu te sens bien, plus tu seras performante. Aujourd’hui je suis reconnaissante de mon histoire. C’est aussi surement ce qui fait que je suis engagée dans la cause, pour tracer un chemin plus favorable pour les suivants, pour qu'elles se sentent soudain légitimes, du seul fait de leur condition humaine. Peu importe avec qui on couche le soir… ou l’après-midi… ou le lendemain matin (rires)..
En parlant de lendemain… Si tu étais élue présidente du Comité International Olympique (CIO), réformerais-tu l’institution pour la rendre davantage inclusive ?
Aujourd’hui le CIO consacre ses efforts à la diversité, à l'égalité et aux opportunités. Des mesures ont été prises pour que davantage de femmes accèdent au sport et aux fonctions dirigeantes dans le secteur. C’est très important. Par exemple, Laurel Hubbard, la lanceuse de poids transgenre néozélandaise, a participé aux derniers Jeux Olympiques de Tokyo. La question est sur la table ; pour moi, c'est déjà un grand pas en avant. Il reste beaucoup de choses à apprendre, à discuter, à débattre, parce qu'en fin de compte, les Jeux Olympiques s’inscrivent dans un cadre régulé. C'est une compétition, mais elle ne concerne qu'un tout petit pourcentage de la société. Ce que je souhaite c’est que, si demain j’ai un neveu transgenre, il puisse avoir un endroit où jouer. S’il est gay, qu’il ne se fasse pas traiter de « pédé » ou de « tafiole » quand il ira pratiquer un sport. Je veux voir plus de sportives comme Mia Fedra qui, bien qu’ayant quarante ans, participe encore à des compétitions de tennis. C’est ce que nous devons viser. Commençons par nous réunir pour faire du sport dans les parcs publics, parce que le sport fait partie de la construction sociale. Qu’on puisse tou.te.s le pratiquer !
« Je suis quelqu’un qui veut toujours aller de l’avant, surmonter les obstacles. »
En regardant en arrière tout ce que tu as accompli, de quoi rêves-tu pour ton avenir ?
Sur le plan professionnel, j'aimerais trouver un moyen d'aider les sportifs qui, bien que professionnels sur le plan sportif, demeurent des amateurs sur le plan économique. Moi, je suis une professionnelle, je consacre ma vie au sport. Mais je ne génère pas de revenus important de ma pratique. Il est nécessaire d’aider les athlètes de demain à pouvoir se consacrer pleinement au sport, et j’espère pouvoir y contribuer. J’aimerais également devenir mère. J’ai déjà 35 ans et je n’ai pas réalisé mon souhait d’être une jeune maman (risas). Avoir une jolie famille avec laquelle je puisse partager le sport, c’est ce que je souhaite par-dessus tout.
Ce qu’on dit sur elle…
« Elle provoque chez moi une admiration folle. Je la trouve tellement parfaite, tellement sûre d’elle-même, et elle milite avec tellement de fierté. En très peu de temps, elle devenue une référente. Elle a une telle énergie, un tel entrain, c’est pour ça qu’elle est devenue championne olympique. »
Facundo Imhoff
En chiffres :
- 3 Le nombre de médailles qu’elle a remportées : 1 de bronze et 1 d’argent (compétitions mondiales), 1 d’or olympique.
- 1987 L’année où elle a marché pour la première fois sur un bateau, elle avait à peine quelques mois.
- 16 Le chiffre que portera sa voile aux prochains Jeux olympiques de Paris en 2024.
- 35 Son âge.
- 10 Son numéro fétiche, même si elle n’est pas adepte du hasard.
Son palmarès :
- Subcampeona mundial en 2014
- Campeona panamericana en 2011
- Varias veces campeona sudamericana
- Tres veces campeona de los Juegos ODESUR y varias veces campeona argentina.
- Integró el equipo olímpico argentino de vela en los Juegos Olímpicos de Beijing 2008, Londres 2012, Río de Janeiro 2016 y Tokio 2020.