Jérémy Clamy-Edroux met les tabous hors-jeu dans le monde de l'ovalie ! Il plaque l’homophobie sur les terrains comme à la télé
«L’ex pilier du Rouen Normandie Rugby en ProD2 est le premier rugbyman en activité, en France, à parler publiquement de son homosexualité. Un coming-out qu’il a choisi de faire aux côtés de 6 autres athlètes dans le documentaire « Faut qu’on parle » Dialogue avec celui qui continue à libérer la parole autour de ce sujet, dans les médias et au quotidien.«
Dans la presse, les journalistes te présentent tous comme « le 1er rugbyman professionnel français à parler publiquement de son homosexualité ». As-tu le sentiment aujourd'hui d’être le nouveau visage assumé de la communauté LGBTQI+ dans le monde du rugby ?
Je n’ai jamais cherché à porter cette casquette du « rugbyman gay ». Je ne suis pas le seul, d’autres joueurs arborent fièrement leurs couleurs sur les terrains. Seulement, faute d’évoluer dans un niveau professionnel, leur coming-out a eu moins d’impact. Mes coéquipiers ont toujours été au fait de mon homosexualité, mais en 2021 s’est présentée à moi l’opportunité de le révéler à la France entière, dans le documentaire événement « Faut qu’on parle », sur l’homosexualité dans le sport français, produit par Canal+. Sa diffusion a marqué une nouvelle étape dans ma vie. J’ai commencé à visiter des écoles, des entreprises et des centres de formation pour parler de la diversité. C’est là que je me sens utile, grâce à l’éducation. Sensibiliser des personnes qui n’ont pas forcément eu accès à ce genre de discours, à ces informations. Qu’elles puissent avoir des références. Par ailleurs, l’image que je leur renvoie vient contrecarrer de nombreux stéréotypes qu’elles peuvent avoir sur l’homosexualité, de par mon gabarit, mon sport, ma couleur de peau, mes cheveux et mon franc parler. Le message passe, il est entendu. Et je me dis que tant que des individus tueront et discrimineront des personnes de notre communauté, c’est que ce message n’est pas reçu ou compris par tout le monde. De là l’importance de continuer à le diffuser. Les hétéros ne se font pas dévisager dans la rue, agresser ou tuer lorsqu’ils prennent la main de leur partenaire. C’est pourtant toujours le cas pour les personnes LGBTQI+. Voilà mon combat ! Faire accepter la différence de l’autre plutôt que de la rejeter !
« Plus jeune, je n’avais pas de rôle modèle, de repère, de personnes avec qui m’identifier »
La nouvelle génération de sportifs peut donc compter sur des référents comme toi pour s’affirmer. Ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. Penses-tu que la médiatisation est nécessaire pour faire bouger les lignes sur les terrains ?
Totalement, c’est pour cette raison que j’ai pris part à ce documentaire car plus jeune, je n’avais pas de rôle modèle, de repère, de personnes avec qui m’identifier. C’était donc pour moi l’opportunité de donner un peu plus de visibilité sur ce sujet, dire aux jeunes rugbyman, gay ou non, qu’on peut faire du sport en étant comme on est, et que tout ira bien. J’ai été surpris par l’impact de la diffusion sur Canal+. J’ai reçu de nombreux messages de soutien, de félicitations, des retours positifs de parents, de jeunes de tous milieux confondus, d’adultes qui auraient aimé entendre ce genre de discours, 20 ans en arrière. Je pense que le monde du rugby est plus tolérant, comparé à d’autres disciplines. Même des joueurs adverses m’ont félicité sur les terrains, mais également le staff, les présidents. La tribune m’a apporté son soutien. Je suis donc très content d’avoir fait ce documentaire, même si j’hésitais à m’engager au début. J’ai été bien accompagné par l’équipe, et par les 5 autres athlètes qui témoignaient. C’est la force du collectif !
Une force qui t’a aidée pour faire ton coming-out auprès de ton père ?
Je ne comptais pas forcément passer par la télévision pour lui annoncer, mais je n’avais pas eu jusqu’à présent le courage de lui dire entre quatre yeux. Mon père est un homme pudique. Il s’en doutait au fond de lui, bien qu’il espérait se tromper. Dans le documentaire, avant mon passage, c’est Amandine Buchard, une judokate médaillée olympique, antillaise comme moi, qui prend la parole. Elle y raconte le rejet de sa mère lorsqu’elle lui a annoncé qu’elle était lesbienne. Depuis 2017, elles n’ont plus aucun contact. Une épreuve qui fut terrible pour Amandine. Des mots qui ont bouleversé mon père. S’en suit mon témoignage, dans lequel j’interpelle mon père pour lui annoncer que je suis gay et que je n’ai pas envie de le perdre, à mon tour. Je suis très fier d’avoir participé à ce documentaire. Nous l’avons regardé ensemble, le jour de la fête des pères. C’était le 21 juin 2021. Bonne fête papa ! (rires)..
« Tout passe par l’éducation »
Il faut faire preuve d'une force physique et mentale assez impressionnante pour être pilier dans une équipe de rugby. Dirais-tu que les coups les plus durs que tu as encaissé ont été sur le terrain, ou bien en dehors ?
En dehors du terrain, je me suis caché, j’ai fui en me faisant passer pour un hétéro, puis un bisexuel. Une double vie qui aurait pu impacter mon rendement sportif. Heureusement, j’ai toujours été bien encadré, ce qui m’a permis d’être performant sur les terrains. Si tu perds du temps à dissimuler quelque chose, à faire plaisir aux autres ou à correspondre à un idéal de personne, toute l’énergie que tu mets à te cacher, c’est de l’énergie que tu perds sur le terrain. Suite à la diffusion du documentaire, j’ai eu la chance de côtoyer tout le gratin du rugby français, des ministres, le président de la république, les président de la Fédération Française de Rugby et de la Ligue Nationale de Rugby, qui m’ont tous apporté leur soutien. Mais sur le terrain apparaissaient des jalousies. Des commentaires qui m’ont agacé, jusqu’au jour où j’ai répondu à un de mes coéquipiers, « Mais tu sais que je suis la star parce que j’ai dit à la France entière que je suçais des bites ? T’as qu’à faire la même chose ! ». Et de là je suis redevenu Jérémy, le pote du rugby.
Et Grindr qui sponsorise le Biarritz olympique, on en pense quoi ?
C’est un partenariat commercial, au même titre que toutes les marques qui font imprimer leur logo sur les maillots. C’est plutôt positif qu’un club français du pays basque, sacré plusieurs fois champion de France du top 14, participe à la lutte contre l'homophobie dans une région où les mentalités sont peut-être un peu plus conservatrices. Il s’agit d’une application de rencontre comme une autre. Après Natixis qui soutient le club des Hauts-de-Seine Racing 92, ou ALTRAD pour le XV de France, c’est l’un des plus gros partenariats financiers pour le rugby. C’est qu’il y en a des adhérents à l’application ! (rires).
On entend encore trop fréquemment à l’entraînement des expressions homophobes comme « On n’est pas des pédés ! »... Selon toi, comment peut-on repenser la pratique de l'activité physique afin de construire un sport véritablement ouvert à tous ?
Tout passe par l’éducation. Cette phrase, « on n’est pas des pédés », je l’ai tellement entendu, que j’ai fini par l’accepter, malheureusement. Mais vient un moment où tu ne peux plus souscrire ce genre de commentaire. J’ai donc fini par répondre « Moi oui ! ». Ce qui mettait mal à l’aise la personne concernée et l’obligeait à revoir son discours. Il faut donc rééduquer les gens. Qu’est-ce que tu veux dire par pédé ? Faible ? Moins fort ? Tu es a côté de la plaque. Si t’as encore un doute, vient avec moi sur le terrain et je vais te montrer que moi, pédé, je te mets à terre ! Et si tu es éducateur, tu ne peux pas dire ce genre de phrase arriérée, « Tu cours comme une fille ! », « Ma sœur coure plus vite que toi ! ». Arrêtons avec ces expressions déplacées et non fondées, pour que les joueurs amateurs et les athlètes qui ne sont pas encore Out, ou qui ressentent d’autres différences, puissent enfin se sentir à leur place !
En chiffres :
- 3 Le numéro de son maillot.
- 9 L’âge qu'il avait lorsqu'il a joué au rugby pour la première fois.
- 1991 L'année de sa naissance.
- 15 L'âge auquel il a fait son coming-out.
- 1 L’année passée au Racing 92 en équipe Espoir.